littor.al offre une visite virtuelle d'une exposition du collectif Anarchives qui s'est tenue en février, à soi-disant Montréal.
De deux séparatismes, l’un : blanc-bec du Québec, qui de tricoté serré en terroir, s’en va en beau joual vert, frustré qu’il est d’un pays pour le monde, jusqu’à ravir des ministres et les asseoir en coffre de chars.
Et l’autre : anishinabé ou onkwehonwe, peuples premiers, décimés par intoxication, spoliation et acculturation, mais d’autant plus résolus à reprendre leur dû sur l'île de la tortue, de blocages de sentiers en caporaux Lemay.
À partir de documents d’époque, le collectif Anarchives met côte à côte, face à face et dos à dos ces séparations divisées qui mettent à mal l’unité nationale.
LIEUX COMMUNS
Québec
Le séparatisme québécois se sépare entre autres sur la question de la séparabilité du territoire. D’un côté, la tendance électorale, incarnée par le RIN puis le Parti Québécois, reprend l’héritage du républicanisme français – lui-même le fruit d’une sécularisation du centralisme monarchique, contre l’esprit « communautariste » du Commonwealth britannique. Le basculement du centre de gravité idéologique sur la métropole parisienne entraîne le souverainisme québécois à reprendre pour son compte la devise d’une république indivisible, et en cela farouchement opposée à toute séparation ultérieure. Le glissement récent du nationalisme québécois vers une laïcité de l’État posée contre tous les particularismes culturels – et parfois au prix d’un certain mépris pour les communautés qui se refusent à l’assimilation –, relève également de cet héritage « souverainiste » européen.
D’un autre côté, par contre, il y eut tous ces groupes qui ont refusé de remettre la souveraineté aux mains de l’éventuelle fondation d’une république constituante, préférant une réalisation immédiate de l’indépendance et de l’autonomie à l’égard de l’État, avec les moyens du bord. Le FLQ, notamment, dans le cadre sa campagne de l’été 1970 pour sortir le séparatisme de son isolement insulaire à Montréal, a réalisé une véritable extension tentaculaire d’espaces sécessionnistes, que ce soit à la ferme du Petit Québec Libre (Cantons-de-l’est), la Maison du pêcheur (Gaspésie), ou dans une myriade d’autres lieux collectifs parsemés sur le territoire. Ces espaces servaient à la fois de points de contact et de propagande auprès des populations défavorisées par l’économie coloniale et de lieux de rassemblement pour toute une jeunesse effervescente, en quête de subversion festive. Les Comités d’Action Politique (CAP), qui s’étaient installés dans une bonne partie des quartiers de Montréal, étaient souvent au rendez-vous de ces fêtes en campagne, eux-mêmes dont l’organisation en milieu urbain participait de la même stratégie visant la prise de territoires et de ses leviers économiques et sociaux. Après la crise d’octobre 1970, la répression du plan de consistance qui s’était élaboré autant en milieu rural qu’en zone urbaine laissera place à l’éclosion d’un vaste réseau de communes, où le partage de moyens matériels et économiques se perpétuera. dans une ambiance néanmoins résolument convertie de la politique séparatiste à la sous-culture hippie.




Autochtones
Du point de vue autochtone, la question du territoire implique un conflit fondamental avec la conception européenne d’une souveraineté nationale délimitée par des frontières étanches. Parmi les centaines de peuples qui vivaient, souvent de manière nomade, sur l’Île de la Tortue, l’identité était partagée entre une appellation générique comme « êtres humains » (onkwehonwe en langue iroquoienne et anishinabe en algonquin) et un nom directement lié au territoire (Kanienke’haka, pour « ceux de la terre du silex », Onöndowága, pour « ceux des collines », etc.). Ainsi les peuples étaient-ils définis par leur localisation plutôt que l’appartenance à une nation : ils appartenaient au territoire plutôt qu’ils n’en avaient la propriété. Dès leur arrivée, les Européens ont tenté de remplacer ces appellations territoriales par des noms propres de nations, divisant les anishinabés en une multitude de races, Outaouais, Potawatomis, Mississaugas, Ojibwés, etc. – pour ensuite les entremêler aux conflits entre les empires coloniaux, et les entraîner dans des guerres fratricides.
C’est pourquoi la résistance autochtone a dès le début pris la forme d’une transgression des frontières arbitrairement dessinées par les empires européens, notamment par la pratique de l’occupation et la réappropriation de terres. Depuis l’occupation du parc national de Point Pelée, dès 1922, les premières nations du soi-disant Canada n’ont jamais cessé d’appuyer, voire de réaliser leurs revendications territoriales par des prises de territoire. En 1969, l’occupation du pont frontalier d’Akwesasne, réserve mohawk stratégiquement divisée entre les États-Unis, le Québec et l’Ontario, a lancé le mouvement séparatiste iroquois sur une stratégie autonomiste qui aboutira bientôt à la reprise, armes à la main, d’un vaste camp de vacances abandonné à Moss Lake, dans l’État de New-York, en 1974. Rebaptisée Ganienkeh, cette terre sera déclarée territoire indépendant auprès des Nations Unies, au prix de grandes tensions avec des groupes suprématistes blancs locaux, dont des échanges de coups de feu – qui n’empêcheront cependant pas Ganienkeh de continuer à exister jusqu’à nos jours. De l’occupation du Anishinabe park par l’Ojibway Warrior Society en 1974 au blocage du développement immobilier à Caledonia, près de la réserve de Six Nations, en 2006, en passant par les crises d’Oka, Ipperwash ou de Gustafsen Lake, c’est toujours la question de l’appropriation et de l’usage du territoire qui est en litige dans les affrontements les plus tendus avec la police coloniale.






RESSOURCES INHUMAINES
Québec
C’est bien connu, la résurgence du séparatisme québécoise coïncide avec l’entreprise de rénovation institutionnelle, politique, culturelle et économique qu’on appelle la Révolution tranquille. Comme en témoigne la proximité de certaines figures-clé du mouvement souverainiste et libéral au début des années 1960 – le felquiste Pierre Vallières et le futur Premier ministre Pierre-Elliot Trudeau écrivant tous deux dans la revue Cité Libre –, leur relation était à l’origine des plus ambiguës. L’insistance, en l’espèce, de la revue Parti Pris sur la nécessité de laïciser l’État québécois la positionne dans une alliance de fait avec les colombes du parti Libéral, dressés tous deux contre le clergé conservateur. Mais si la question du séparatisme aura tôt fait de les repousser aux antipodes de l’échiquier politique, une certaine tendance, inexorable dans les années 1960, à concevoir le rattrapage du Québec à l’égard des autres pays occidentaux comme un passage obligé, a continué à réunir tous les partis confondus – autochtones exceptés…
Ce phénomène relève sans doute du caractère socialiste commun au séparatisme et au libéralisme canadien, à une époque où la critique de la société industrielle restait très minoritaire. La nationalisation de l’électricité, sous le slogan « Maître chez nous! » (sic), tout comme la réalisation de chantiers hydroélectriques massifs (Baie-James, Manic 5, etc.), font écho à la définition que donnait Lénine du communisme comme étant « les soviets, plus l’électricité ». De même, le mot d’ordre de la modernisation technique était commun à une bonne partie du mouvement de la décolonisation, notamment en Algérie, grande source d’inspiration pour le séparatisme québécois. Or, aux antipodes de l’échiquier politique, Duplessis lui-même avait fait de la colonisation industrielle du Nord son propre cheval de bataille – en ouvrant une région entière à son nom, et terminant ses jours à Shefferville. On peut ainsi supposer que le seul véritable contentieux sur la question des ressources a porté sur la distribution de ses richesses, que Duplessis n’hésitait pas à brader aux américains. Car à l’exception des quelques épisodes où le mouvement syndical – malgré l’intérêt certain qu’il portait au développement – a pu suspendre, retarder, voire saccager les infrastructures extractives (grève d’Asbestos, destruction du chantier de la Baie James en 1974), le « progressisme » technique a fait l’objet d’un singulier consensus au Québec, offrant aux uns comme aux autres le rêve d’un « new deal » pouvant régler le problème de la jeunesse chômeuse excédentaire, dans la perspective du plein emploi.






Autochtones
À bien y regarder, le développement des infrastructures représente moins l’effet que le moyen par lequel les Européens ont pu triompher des autochtones d’Amérique. Au prix de la mort de 90% des autochtones dans les premières 200 années de la colonisation, le continent s’est vu traversée par les rails, puis asphaltée d’un océan à l’autre, en découvrant dans le chemin des ressources autrefois insoupçonnées. Dans le cas paradigmatique des métis du Nord-Ouest, par exemple, l’insurrection n’a pu être matée que lorsque le chemin de fer du Grand Tronc a permis d’y acheminer une quantité suffisante de troupes canadiennes.Or, si cette hécatombe n’a jamais considéré le mode de vie des indigènes d’Amérique que comme un simple obstacle au développement, c’est sans doute aussi parce qu’il y était intrinsèquement opposé. Le mode de vie semi-nomade, tout particulièrement, suppose une religiosité « animiste », où les être humains doivent entretenir des échanges « diplomatiques » avec les esprits animaux afin que les proies acceptent de s’offrir à eux. D’où le caractère profondément spirituel de la résistance autochtone au développement industriel – dont la résistance au pipeline DAPL à Standing Rock offre un exemple frappant –, et qui ne cède en rien au chantage au développement.
D’un autre côté, que ce soit par leur dispersion dans des territoires éloignés voués à l’extraction ou par une stratégie coloniale consciente de division des territoires, les réserves autochtones servent souvent de point de passage pour quantité d’infrastructures. La réserve mohawk de Kahnawake, par exemple, est traversée autant par des autoroutes que la voie maritime du Saint-Laurent, des lignes haute tension, des ponts et des chemins de fer. Il n’est donc pas étonnant que la résistance indigène a tôt fait d’adopter la tactique du blocage de ces voies de communication qui ont charcuté leur territoire. De sorte que le blocage représente certainement la tactique la plus répandue parmi les luttes autochtones contemporaines. Il ne se passe pas une année sans qu’un blocage de chemin forestier vienne compromettre une mine à ciel ouvert ou des coupes forestières en territoire innu, attikamekw, cri ou algonquin. Sur ces vastes terres où l’homme blanc n’apparaît jamais que pour piller les ressources sans compter les dégâts, le spectre des résistances autochtones pèse lourd sur des infrastructures cruciales. Ainsi les Cris ont pu bloquer pendant de longues années le projet pharaonique du barrage de la Baie James, et les Innus ont pu mettre un frein aux vols à basse altitude des chasseurs de l’OTAN, en occupant le tarmac de la base militaire de Goose Bay, au Labrador.C’est que, comme le disait Karionaktajeh, le théoricien fondateur de la Mohawk Warrior society, « davantage de technologie signifie davantage de points faibles pour les grandes puissances. »





NOUS LA LANGUE
Québec
Au début des années 1960, ce sont des tensions entres langues dominantes vieilles de 200 ans qui éclatent au grand jour du Québec. Venant d’abord redoubler le conflit entre Capital et Travail, l’enjeu se transforme peu à peu en débat pour une gestion du Capital « en français svp !». L’anglais, langue de l’argent, du travail et de la business, est attaquée comme incarnation de la puissance économique. À l’opposé, le parler québécois est célébré comme langue des insoumis.
La séparation est claire : le français comme langue du colonisé, et l’anglais comme langue du colonisateur. L’affaire de l’ignoble Gordon le démontre bien : alors PDG du joyau canadien qu’est le Canadien National, Donald Gordon déclare le 19 novembre 1962 que l’absence de francophones dans son administration s’explique par leur incompétence. La colère éclatera trois jours plus tard, lors d’un défilé organisé à Montréal pour commérer le 125e de la bataille de Saint-Denis, à la fin de laquelle l’Union Jack et une effigie de Gordon seront incendiées.
Le droit à parler français au travail traverse alors tous les conflits syndicaux, dont la vaste majorité des ouvriers sont francophones. Sous les cendres du Canadien-Français soumis doit émerger un Québécois maître de son destin. La langue du patron est en passe de changer : on sera bientôt capables de donner des ordres « dans sa langue ».
Une ligne de fracture à partir de laquelle s’ouvrira un front culturel : l’appel pour une littérature québécoise, et non plus canadienne-française, par la revue Parti Pris, lancera une appellation propre qui sera bientôt consacrée. Ainsi la politique anticoloniale et l’action culturelle se trouvent liées dans un même mouvement de contestation, où le joual est à l’honneur. La poétesse Michèle Lalonde se trouve alors à l’avant-garde d’un renouveau littéraire qui exige une transformation culturelle et sociale. C’est pourquoi l’événement culturel marquant Chants et Poèmes de la résistance de 68 et 69 est organisée en solidarité avec les felquistes Vallières et Gagnon.
Alors que le Québec se trouve en plein chantier keynésien pour parsemer le territoire de béton, de barrages et d’écoles, le conflit linguistique infiltre l’enseignement. La grève étudiante de 1968 et l’émeute du mouvement McGill français exigent toutes deux une université francophone. Et la crainte de l’anglicisation du quartier Saint-Léonard débouche sur le Bill 63, première loi linguistique, qui sera contestée violemment lors d’un affrontement sur la colline parlementaire en 1969.
Or la crise d’octobre marquera bientôt un nouveau tournant. Les revendications linguistiques prennent de plus en plus l’allure d’un vieux fond réactionnaire. Le « si t’es pas content, ben câlisse ton camp en Ontario » » des nationalistes s’oppose alors de plus en plus au « se faire fourrer en anglais ou en français c’est la même crisse d’affaire » prônée par la gauche marxiste-léniniste. La loi 101 du premier gouvernement péquiste marquera la fin légale du conflit.





Autochtones
Dès le XIXe siècle, les langues autochtones sont tout simplement interdites par l’administration publique canadienne. Avec elles, c’est l’ensemble des cultures autochtones qui sont déclarées indésirables, d’un océan à l’autre. De même, les institutions autochtones comme la Confédération iroquoise sont constamment menacées par des raids de la police fédérale.
Pour réaliser l’appropriation intégrale du territoire et s’assurer l’assimilation des peuples, le gouvernement Canadien a vu la dissolution des langues autochtones comme une priorité. Pas étonnant, quand on sait que ces langues, ancrées dans leurs territoires, sont dans leur essence même en rupture avec la logique d’exploitation coloniale. Il n’y a point de « ressources » en terre anishinabé, seulement des êtres égaux en mouvement sur le territoire.
Les langues autochtones sont des réservoirs décisifs de visions du monde : des manières d’être et de faire. C’est pourquoi l’enferment des enfants autochtones dans des écoles résidentielles – par ailleurs menée par l’église catholique, même en pays protestant –, concrétisait une véritable guerre d’extermination contre ces mondes.
Contre la politique coloniale du Canada, la survie de ces langues et cultures a été à la fois le propulseur et l’enjeu des luttes de résistance. Propulsé par une prise de contact avec sa culture ancestrale, l’artiste Karionaktajeh (Louis Hall), de Kahnawake a peint un triomphalisme autochtone se libérant de ses chaînes. De même, c’est pour défendre l’inséparabilité entre leurs pratiques ancestrales de pêche et leur langue que les Mi’kmaqs de Restigouche ont résisté aux assauts de la Sûreté du Québec en 1982.
La vague de résistance autochtone des années 60 et 70 n’est donc pas pensable sans son processus de recherche et de réactivation de traditions, de langues et de pratiques propres. La mise en place d’écoles autochtones par l’American Indian Movement aux USA est un exemple de cette association entre culture et résistance. De même, les tentatives ici au Québec de mise en place d’un cégep autochtone et d’une commission scolaire inuite incarnent une tentative d’autonomisation conciliatrice face aux institutions coloniales.
La reconnaissance aujourd’hui accordée aux formes culturelles autochtones dans l’espace public doit être pensée en relation avec ces coups d’éclats flamboyants de résistances autochtones armées. En effet, c’est après Oka que les pow-wows sont devenir si populaires auprès des non-autochtones, en tant que lieu de rencontres interculturelles. À la question « est-ce que la ligne de fracture opposant les manières d’être et de faire autochtones ne deviennent conciliables avec le monde colonial qu’une fois qu’elles ont perdues leurs griffes? », il faut se tourner vers les productions culturelles et les luttes contemporaines qui continuent à lier la production de mondes à la contestation de néant colonisateur.






SENTIER DE GUERRE
Québec
Si le Canada et le Québec apparaissent comme des terres pacifiées, c’est bien parce que les conflits violents y sont occultés depuis longtemps. La guerre civile de 1837-1838 n’apparaît plus que comme un lointain souvenir. Sa réactivation comme moment de résistance dans les années 1960 s’est opérée en occultant le terrible débat qui tiraillait le Canada français d’antan : l’opposition entre républicanisme et ultramontanisme. Le triomphe du dernier avec la doctrine de la survivance n’aura pourtant pas empêché les francophones de s’identifier avec la figure de Louis Riel lors des événements conjoints de la création du Canada et du soulèvement métis. Mais c’était alors la langue parlée, plutôt que l’origine autochtone, qui fut l’enjeu d’une telle identification, car l’indépendantisme francophone ne sut alors pas dénoncer la guerre silencieuse d’extermination coloniale en cours contre les peuples autochtones.
Pourtant, l’idée d’un conflit anticolonial violent apparaît chez les francophones avec leur opposition à la conscription, qui provoquera des émeutes à Montréal en 1917 et à Québec en 1944. Réintroduit de manière tordue dans l’historiographie nationaliste comme la preuve du pacifisme inhérent aux Canadiens français, cette opposition marquait un point de rupture dans le pacte clérico-colonial. Il faut se rappeler que l’opposition à la première guerre mondiale était internationale et que si elle se referma ici avec un anticommunisme effrayant, le FLQ sut réactiver l’événement dans l’imaginaire collectif via un discours anticolonial assumé.
Ce n’est cependant qu’avec la décennie 1960 que discours nationaliste se met vraiment sur un pied de guerre, avec l’armement de ses fractions les plus radicales. Alors même que le mouvement ouvrier déclenchait des grèves parfois très dures, les bombes éclatent à Montréal contre ce qui est décrit comme une occupation étrangère. Un imaginaire construit à partir de l’Algérie et du Vietnam est transposé en sol Québécois et pousse à la construction d’une machine de guerre révolutionnaire tiraillée entre identitarisme et marxisme anticolonial. Si les indépendantistes trouvent dans le FLN et dans l’IRA des démonstrations de leurs thèses, l’organisation parallèle des fractions indépendantistes autochtones n’attirent pas leur regard.
La crise d’Octobre, et l’occupation militaire qui suivit – que René Lévesque décrit comme une utilisation judicieuses de forces armées autrement coûteuses d’inactivité – , finit de détruire cette articulation entre machine de guerre et anticolonialisme. Mais ce serait refermer trop vite la boucle de boucher ce sentier de guerre avec l’élection d’un premier gouvernement péquiste en 1976. Car le « Québec aux Québécois » de l’anticolonialisme felquiste se transposa dans les émeutes suprématistes blanches de Châteauguay en 1991. Au moment même où une autre souveraineté se levait et bloquait les infrastructures coloniales, l’antique identitarisme ultramontain refaisaient surface sous la forme honteuse d’une haine raciale stimulée par la volonté de pouvoir se rendre au centre-ville de Montréal en moins de 20 minutes.




Autochtones
D’un point de vue colonial, l’histoire d’avant 1814 en Amériques du Nord peut se résumer aux tentatives successives des colonisateurs de capter la machine de guerre autonome des autochtones pour leurs propres gains. Avec la défaite de la France et la pacification des relations entre États-Unis et l’Angleterre, les anciens alliés ne sont plus nécessaires, et peuvent dès lors être désarmés et enfermés dans des réserves – juridiquement considérés comme des camps de prisonniers d’une guerre, alors qu’aucune guerre n’avait été déclarée, sinon avec les autochtones du Dominion comme alliés. Le soulèvement métis, dont l’armement provenait en partie de l’État fédéral lui-même afin de l’aider à lutter contre d’autres communautés autochtones, est sans doute le plus connu de ces affrontements. Mais il ne doit pas masquer tous les autres conflits ayant eu cours à l’ouest de l’Ontario, lors de l’intégration des terres, alors légalement possédées par la Hudson Bay, à ce qui allait devenir le Canada.
Mais fondant toujours leurs rapports avec l’État colonial sur un jeu d’alliances, les autochtones poursuivront leurs contributions aux guerres des colonisateurs – pensant parfois y obtenir une plus grande reconnaissance. Ainsi plus d’un tiers des autochtones « canadiens » – proportion largement supérieure à celle des Blancs – s’enrôleront pour la Première guerre mondiale, où ils seront notamment utiles dans les communications codées, tout simplement en parlant leur propre langue, proscrite chez eux. De même, plusieurs Mohawks iront au Vietnam dans les années 1960, et leur formation militaire fera craindre le pire aux autorités lors des soulèvements subséquents.
Ce qui marque dans ces soulèvements anticoloniaux est certainement l’usage massif des moyens militaires. Dans la crise d’Oka, par exemple, mais aussi lors de la confrontation de 1995 à Gustafsen Lake, l’opération militaire la plus imposante et coûteuse de l’histoire en territoire canadien. Depuis, les autorités restent sur leurs gardes sur les questions autochtones, sachant que le moindre conflit peut se généraliser où toutes une communauté – solidaire à faire respecter les traités –, voire soulever quantité de communautés autochtones supplémentaires. Et le cas échéant, sachant les infrastructures cruciales qui traversent ces terres non-cédées, le soi-disant Canada pourrait bien ne plus se relever.






